Nina
Roussière
Selon Aristote, ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains.
La main est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres, c’est également pour Nina Roussière le prolongement armé de la sensibilité singulière qui traverse sa pensée. Il s’agit alors de générer du dessin, mais lequel et de quelle manière?
La réflexion de Nina, son travail autour du dessin s’élabore par étape ; dans un premier temps celle-ci joue avec les éléments qui l’inspirent par une récupération manuelle de signes, qui seront recomposés et actualisés ensuite de manière plus conceptuelle par le biais du numérique et de la technique.
Sa démarche délicate et indicielle s’enrichit de nombreux domaines - héritage cinématographique, poésie sonore, construction architecturale - dont les traces saisies par le dessin, réapparaissent revitalisées et témoins de multiples rencontres simultanées. De la main au numérique, en passant par l’inspiration formelle et narrative, cette jeune artiste invente une manière hybride de dessiner. Sa démarche plastique engendre des rapports de coexistence qui multiplient les différents liens, développant une construction nouvelle proche d’une géographie rhizomatique d’inspiration Deleuzienne.
La lumière, est un outil essentiel au regard mais aussi à la construction de certaines pièces de nature phénoménologique. Trou noir (plâtre pigmenté), Racine carrée (ramette de papier troué) ainsi que les séries de Carbone, puis les Photogrammes sont autant de dialogues entre l’inscription physique et sa mise en lumière. Certains dessins, de la série Sinopias, réalisés in situ ou bien sur papier, au cordeau de maçon ocre ou bleu, sont le produit de longues vibrations colorées et de tracés dynamiques. Ils imposent un rapport physique, une dimension environnementale saisissante, un tracé primitif. Ce choc visuel produit un rapport d’échelle instructif pour la lecture de l’ensemble du travail. Les Diagrammes, de grands dessins sur papier, offrent au regard la superposition d’un réseau complexe de différents types de tracés, l’un vectoriel est sec, net, à l’encre ; l’autre est gras, à l’huile, il a une matière et une épaisseur.
Il s’agit d’une balance entre le sensible transcrit et la représentation informatique qui propose différentes temporalités soulignées dans un même espace cadré. Le cheminement graphique parcouru donne alors naissance à un réseau de formes et de lignes, ainsi qu’à une géographie flottante où le fond neutre, vide et monochrome de la feuille apporte une sensation de chaos. « Poétiques », sensibles, fantasmées, les cartes inconscientes dessinées par Nina Roussière sont de celles qui traversent le paysage du physique au mental, la main ne se perd pas mais coexiste avec le monde technologique d’aujourd’hui.
Le contenu de ces gestes raffinés donne naissance non pas à des éléments reconnaissables mais à des figures. Figures, car la perte identitaire des éléments empruntés se métamorphosent en signes «entre-deux».
D’un geste retenu, concentré, expert ; du geste technique à la technologie même servant le geste, Nina Roussière donne à voir un art du déplacement où l’espace de la feuille et son temps d’inscription tendent vers une quatrième dimension. Plan, diagramme, schéma, tracé, autant de représentations contrôlées, viennent nourrir la sensibilité d’un espace ambigu et mouvementé de gestes, qui lui est propre.
Par Jérémy Lopez, 2013